Précision des conditions d'utilisation du nom d'une unité géographique plus petite que l’appellation d'origine
La Cour de cassation dans sa décision du 4 avril 2018 publié au bulletin apporte une précision importante quant aux règles d'étiquetage des produits vinicoles.
L'utilisation du nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique est réglementé par :
- Le Règlement 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 (JOCE du 17 juin 2009) introduisant, dans le règlement 1234/2007, les dispositions du règlement 479/2008 portant organisation commune du marché vitivinicole.
- Le Règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 (JOCE L 148 du 6 juin 2008) portant organisation commune du marché vitivinicole, modifiant et abrogeant le règlement (CE) n° 1493/1999 60-1-g et 61.
- L'article 67 du Règlement (CE) no 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009.
- L'article 5 du Décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 (JO du 6 mai 2012).
Aussi, deux conditions cumulatives doivent être remplies pour pouvoir utiliser le nom de cette unité, a voir :
- Tous les raisins à partir desquels ces vins ont été obtenus proviennent de cette unité plus petite ;
- Cette possibilité est prévue dans le cahier des charges de l'AOP ou de l'IGP ;
La question qui se posait à la cour était de savoir si une marque usant du nom de cette unité et déposée antérieurement à la réglementation confère encore aujourd'hui à son titulaire un droit d'utilisation.
Dans les faits, une cave coopérative, a mis en circulation 1 153 128 bouteilles de vin bénéficiant de l'appellation d'origine protégée "Côtes de Provence", dans des bouteilles revêtues de la mention "Cuvée du Golfe de Saint-Tropez" ou "Port Grimaud".
La DIRECCTE de Provence Alpes Côte d'Azur a dressé un procès-verbal estimant que l’apposition de la mention "Cuvée du Golfe de Saint-Tropez" ou "Port Grimaud" n’était pas conforme avec l'article 5 du décret du 4 mai 2012.
Plus précisément, la DIRECCTE reprochait à la cave coopérative de mentionner le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de AOP alors que cette possibilité n’ est pas prévue dans le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée.
De son coté la cave coopérative fait valoir qu’elle était titulaire des marques "Cuvée du golfe de Saint-Tropez" et "le Grimaudin", et que ces marques avaient été enregistrées avant l'entrée en vigueur de l'article 5 du décret du 4 mai 2012.
Selon la Cave le texte n’était donc pas applicable en ce qu’il porterait atteinte au droit de propriété intellectuelle conféré par la marque.
La juridiction de proximité de Fréjus dans sa décision du 26 avril 2016 a retenu que le droit de propriété, dont la propriété intellectuelle est une composante, est un droit fondamental, que les marques "Cuvée du golfe de Saint-Tropez" et "Le Grimaudin" ont été déposées et enregistrées de bonne foi, antérieurement au décret du 4 mai 2012, qu'il n'existe aucun motif de nullité de l'enregistrement de ces marques et que leur usage est sérieux et utile ;
En conséquence, la juridiction de proximité a décidé que les marques enregistrées, par la cave coopérative, confèrent à leur titulaire un droit exclusif d'utilisation dont ne peut le priver le décret précité ;
La chambre criminelle de la cour de cassation dans sa décision du 4 avril 2018 publié au bulletin casse et annule la décision.
Elle considère qu’à la date des faits l’étiquetage des bouteilles n’étaient pas conforme à la réglementation en vigueur.
Ainsi, le fait que la cave coopérative soit titulaire d’une marque enregistrée antérieurement au décret est inopérant.
En effet, l'article 5 du décret du 4 mai 2012 n’a pas pour conséquence d'interdire l'usage du nom d'une unité géographique plus petite que celle qui est à la base de l'appellation d'origine protégé.
Cet article précise seulement les conditions d'usage du nom d'une unité géographique plus petite que celle qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée.
Par ailleurs, la cour précise que la modification du cahier des charges, lorsqu'il ne prévoit pas une telle possibilité, peut être sollicitée par les producteurs intéressés dans les conditions prévues à l'article 105 du règlement du 17 décembre 2013 (règlement (UE) n° 1308/2013).
Dans le cas présent, le cahier des charges de l’appellation Côtes de Provence" ne prévoyait pas la possibilité d'utiliser les unités géographiques plus petites "Saint-Tropez" et "Port-Grimaud".
Par conséquent, l'étiquetage des bouteilles mises en circulation par la cave coopérative n'était dès lors pas conforme à la réglementation nationale, soit l’article 5 du décret du 4 mai 2012.
Cette décision méritait bien la publication puisqu’elle permet d’apporter une réponse claire sur les conflits entre marques et appellations d’origine contrôlée.
La cour de cassation précise ainsi les conditions d’utilisation des unités géographiques plus petites que celle qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée.
En effet, si la cave coopérative avait sollicitée une révision du cahier des charges la solution aurait sans doute était différente.
De plus, cette décision est transposable à de nombreux cas et pratiques.
Forte de cette décision la DIRECCTE devrait sans doute sanctionner d’autres acteurs du secteur vitivinicole.
Aujourd’hui, la tendance du «craft » tant dans les vins que les spiritueux doit s’accompagner d’un suivi juridique surtout lorsqu’une appellation d'origine protégée ou une indication géographique protégée rentre en ligne de compte.
Reste à savoir si une demande de révision du cahier des charges de l’appellation Côtes de Provence sera présentée afin de prévoir la possibilité d'utiliser les unités géographiques plus petites "Saint-Tropez" et "Port-Grimaud".